3.12.09
Lecture : Lettres chinoises de Ying Chen
Les Lettres chinoises sont un roman épistolaire qui raconte une période charnière de la vie de trois personnes : Yuan, Sassa, Da Li. Ce livre regroupe cinquante-sept lettres écrites entre Sassa et Yuan (deux amoureux), et Sassa et Da Li (deux amies).
Yuan est un jeune homme d'une vingtaine d'année qui choisit de quitter la Chine et de s'installer à Montréal.
Sassa, sa fiancée est restée à Shanghai en attendant d'obtenir un passeport. Mais elle a une santé fragile et malgré son amour pour Yuan, elle redoute de la suivre. Au fil du texte, on pressent qu'elle ne viendra pas le rejoindre. La première correspondance s'établit entre ces deux amoureux dont la séparation est très difficile.
Da Li, une amie du couple, choisit également de quitter son pays pour aller vivre à Montréal. Là bas, elle tombe amoureuse d'un chinois mais celui ci a une fiancée en Chine. A travers cette relation, on perçoit les traditions du pays d'origine puisqu'elle fait part de cette liaison à Sassa, une liaison adultérine, et malgré son respect de la tradition chinoise, Sassa la comprend et la conseille.
L'un des thèmes abordé dans ce roman est l'opposition entre la tradition chinoise et la modernité nord américaine. On peut noter également le thème de l'amour impossible entre Sassa et Yuan, mais le thème principal est celui de l'exil et la notion d'appartenance à un pays.
La notion d'étranger et d'appartenance à un pays
Dans la première lettre du roman, Yuan parle « d'appartenance » et « d'identification », et amorce ainsi dès le début une réflexion sur l'exil, l'émigration et l'immigration. Ying Chen a choisi d'utiliser une langue étrangère pour elle - le français - pour parler de la notion d'étranger. Yuan, dans sa première lettre, livre ses toutes premières impressions en tant qu'immigré. Il s'agit d'une situation difficile à vivre, puisqu'il vient de quitter son pays natal, où il a laissé la femme qu'il aime. C'est l'occasion pour lui de s'interroger sur la notion d'appartenance : c'est loin de la Chine qu'il comprend alors à quel point il est attaché à ce pays, et combien il s'y identifie. La situation d'exilé lui fait ressentir à la fois l'appartenance à la Chine et le sentiment d'étranger à Montréal.
Situation paradoxale donc : en Chine, Yuan souhaitait plus que tout quitter ce pays trop influencé par le poids des traditions ; une fois à Montréal, il se sent étranger, et cherche à affirmer une filiation avec son pays natal. On peut penser que ce besoin d'appartenance se rapproche d'un indice autobiographique de l'auteur. Le personnage de Yuan symbolise en quelque sorte les différentes émotions ressenties après un exil.
Dans la lettre 2, Yuan raconte à Sassa une anecdote assez significative : il demande de la monnaie à un homme à l'aéroport pour pouvoir utiliser le téléphone automatique et celui-ci lui souhaite « bonne chance ». Cet accueil « chaleureux » des canadiens est traité par opposition à l'accueil des français en Chine : dans la lettre 17, Sassa explique à Da Li qu'une française en Chine est accueillie puisqu'elle est blanche (et tous les blancs sont considérés comme des riches). Dans cette lettre, la notion d'étranger est abordée du point de vue d'un chinois en Chine regardant une française immigrée. Le personnage de Sassa permet de mettre en évidence les préjugés qu'ont les Chinois sur les occidentaux et leur prétendue richesse.
Dans la lettre 25, Da li écrit à Sassa et s'interroge sur la notion d'étranger. En effet, elle vient d'avouer à son amie qu'elle est amoureuse d'un homme dont on ne connaît pas l'identité. Sassa demande s'il s'agit d'un français ou d'un étranger : Da Li lui répond que la notion d'étranger est toute relative : en effet, elle même est considérée comme une étrangère à Montréal. Ainsi, elle parle de « non étranger » pour les habitants de Montréal. Da Li interroge ce mot et cette notion bien relative pour une personne vivant à l'étranger. Le personnage de Da Li symbolise l'ambiguité et la fragilité du statut d'étranger : la notion d'appartenance à un pays dépend du point de vue de l'énonciateur.
De plus, le personnage de Sassa interroge une autre facette de cette notion : celle du sentiment d'étranger au sein du pays natal. Elle déclare à Da Li :
au fond je me sens aussi déraciné que toi même si je reste encore sur cette terre où je suis née. (p. 66)
Elle aussi, bien qu'étant restée à Shanghai, se sent étrangère dans son propre pays. Toutes ces réflexions prouvent qu'être étranger est un statut que nous pouvons tous connaître : cela place le lecteur en situation de sympathie avec le(s) personnage(s) mais aussi avec l'auteur, dont on connaît le statut identitaire particulier.
Dans une lettre à son père, Yuan explique que même les chinois entre eux sont étrangers. L'étranger est fait pour rapprocher les autres personnes entre elles :
On a toujours besoin de quelqu'un à dédaigner (p. 76)
dit-il avec une pointe d'ironie : et ce quelqu'un, c'est l'étranger. Pour Yuan, cette notion doit être intégrée par tous et acceptée car il n'y existe pas de remède. En effet, en Amérique de Nord, même les lois contre la discrimination, n'empêchent pas la nature humaine de ressurgir. Yuan est finalement heureux à Montréal, après avoir compris qu'il sera partout dans le monde un étranger.
Après avoir posé les jalons de la notion d'étranger bien relative aux yeux des personnages, Yuan conclut dans la lettre 29 en disant qu'être étranger ou pas n'empêche ni la solitude ni le bonheur. La morale que tire Yuan est reprise par Da Li qui s'apprête à quitter Montréal : comme à Shanghai, elle n'y trouve ni le bonheur ni l'entourage qui lui convient. Contrairement à Yuan qui a su se sentir chez lui dans un pays étranger - alors qu'il ne ressentait pas cela en Chine - Da Li n'a pas encore trouvé son chez soi et elle décide donc de quitter Montréal pour Paris... façon d'élargir les horizons pour le lecteur et de ne pas sceller les interprétations.
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