25.6.12
19.6.12
Film : La ballade de Narayama
Palme d’or du festival de Cannes 1983, La ballade de Narayama est le quatorzième film du cinéaste japonais Shoeï Imamura, réalisateur qui obtiendra en 1997 une seconde palme d’or pour L’anguille. Remake d’un film de 1958 (La ballade de Narayama de Kensuke Kinoshita) ou plutôt nouvelle adaptation d’une œuvre de l’écrivain Shishiro Fukazawa, le film puise au cœur même d’une ancienne légende japonaise dans laquelle une vieille femme, sans utilité pour son village et sa famille, est abandonnée dans la montagne. Film austère, à l’esthétique quasi documentaire, retraçant les conditions de vie difficiles dans un Japon pas tout à fait sorti du Moyen Âge, La ballade de Narayama est surtout une réflexion profonde sur la place des personnes âgées dans la société. Thématique toujours d’actualité s’il en est.
A la fin de l’ère Edo, dans un village pauvre et isolé de la province du Shinshu (région montagneuse au centre du Honshu), une coutume ancestrale exige que les personnes atteignant l’âge de 70 ans aillent mourir au sommet de la montagne de Narayama (« la montagne aux chênes ») où se rassemblent les âmes des défunts. Pour ce long et douloureux périple, le fils aîné est chargé de transporter son parent sur son dos, sans avoir le droit de lui parler, sans jamais se retourner sur le parcours, sans jamais être vu de quiconque. Orin-Yan a atteint l’âge de 69 ans, mais elle respire encore la santé et fait preuve d’une vigueur et d’une force peu communes. Son heure approche, elle sent que bientôt elle devra entamer le long voyage vers Narayama, mais son fils Tatsuhei ne veut pas la laisser partir. Sa femme est morte quelques mois auparavant, lui laissant à charge un petit bébé, et il lui est difficile de se résoudre à abandonner sa mère au sommet de la montagne. Alors Tatsuhei fait la sourdre oreille, se montrant par ailleurs peu enclin à accepter une seconde épouse, ce qu’il fait pourtant sur les conseils de sa mère. La vie est rude dans le village, la nourriture pauvre, l’éloignement oblige ses habitants à vivre repliés sur eux-mêmes, selon des coutumes strictes et parfois cruelles. Ainsi, seul l’aîné des fils est autorisé à prendre une épouse et à donner naissance à une descendance, les vieux sont accompagnés à Narayama lorsqu’ils deviennent un poids pour leur entourage, c’est-à-dire une bouche inutile à nourrir.
Les deux tiers du film sont concentrés sur la vie quotidienne du village au fil des saisons, l’hiver rigoureux et neigeux laisse place à un printemps humide et boueux où l’on se consacre au dur travail des champs. L’été semble être la période la plus douce et la plus facile, propice à la légèreté, au flirt amoureux des jeunes gens et à l’abondance de nourriture (toutes proportions gardées). Mais Shoeï Imamura nous rappelle rapidement la réalité d’un quotidien qui ne laisse aucune chance à ceux qui ne respectent pas les règles. Ainsi, dans une scène d’une violence inouïe, les hommes du village mettent à mort une famille entière (père, mère et enfants) qu’ils soupçonnaient à juste titre de vol et se partagent ensuite leur nourriture. Le printemps venu, le frère de Tatsuhei découvre le cadavre abandonné d’un nouveau-né en bordure de la rizière, c’est un garçon, et comme chacun le sait au village il n’y a pas de place pour les cadets et pour les bouches inutiles. On est également sidéré par la scène dans laquelle Orin se fracasse les dents contre une meule de pierre, ces dents étincelantes et impeccables qu’elle arbore fièrement malgré ses 69 printemps et qui sont le symbole de son insolente santé aux yeux des autres. Une fois son geste accompli, la vieille femme se montre à la vue de tous la bouche ensanglantée pour signifier à l’ensemble de la communauté que par ce geste elle scelle désormais son destin. Symboliquement, elle devient la vieille femme édentée au dos courbée, une vieille personne qui doit désormais rejoindre Narayama. Son geste provoque une réaction d’une rare violence chez son fils Tatsuhei, qui en comprend immédiatement la portée. Mais aussi cruelles soient-elles, ces coutumes garantissent la survie de tous et la préservation d’un écosystème vital mais fragile. Chaque villageois est conscient que la famine guette l’ensemble de la communauté et que le moindre écart dans les règles de vie, la plus petite catastrophe menace l’ensemble du village. On assiste ainsi à une solidarité contrainte et forcée, un échange de bons procédés pour le bien de tous et pour la survie du plus grand nombre. Rien de désintéressé dans cette entraide, mais un geste d’une nécessité absolue face aux rigueurs de la vie.
Évidemment, la dernière demi-heure du film, celle où Tatsuhei accompagne sa mère jusqu’au sommet de la montagne et l’abandonne à son funeste destin, est de loin la plus poignante et la plus riche en émotions. Le film y puise toute sa force et sa dimension symbolique prend enfin tout son sens. Un tour de force réalisé pratiquement sans dialogue, illustré par un paysage de début d’hiver magnifique et une économie de moyens qui force le respect. Tout est dans la gestuelle des personnages, dans leurs postures ou leurs regards. L’amour entre cette mère admirable de volonté et de courage et ce fils exemplaire explose littéralement à l’écran et illustre à merveille cet esprit typiquement japonais que l’on peine parfois à saisir. Pourtant Shoeï Immamura n’est pas dupe et n’hésite pas à proposer un contrepoint terrifiant dans une scène qui aurait pu briser cette image d’Épinal d’une tradition ancestrale japonaise parfois exaltée à outrance. De retour vers son village, Tatsuhei croise un voisin venu également accompagner son père à Narayama, l’homme a été littéralement ligoté, il crie, pleure supplie, s’accroche comme un forcené à son fils, qui dans un ultime geste de désespoir le pousse dans le vide. Le courage et la dignité d’Orin-Yan, dont la neige recouvre la blanche chevelure, semblent ici s’opposer à la terreur et aux cris d’un vieil homme épouvanté à l’idée de mourir seul dans ce lieu de désolation. Une vision contrastée et complexe d’un Japon ancestral, qui met quelque peu à mal la conception canonique du bushido. Un monde où le poids des traditions (et donc le regard de la communauté) compte tout autant que l’abnégation, mettant ainsi à mal le supposé raffinement d’une société japonaise parfois faussement idéalisée par les occidentaux. Cette absence de manichéisme, cette complexité du propos, bien au-delà des qualités formelles du film, font de La ballade de Narayama une œuvre majeure du cinéma japonais.
(Commentaire de Emmanuel - La Kinopîthèque)
Palme d’or du festival de Cannes 1983, La ballade de Narayama est le quatorzième film du cinéaste japonais Shoeï Imamura, réalisateur qui obtiendra en 1997 une seconde palme d’or pour L’anguille. Remake d’un film de 1958 (La ballade de Narayama de Kensuke Kinoshita) ou plutôt nouvelle adaptation d’une œuvre de l’écrivain Shishiro Fukazawa, le film puise au cœur même d’une ancienne légende japonaise dans laquelle une vieille femme, sans utilité pour son village et sa famille, est abandonnée dans la montagne. Film austère, à l’esthétique quasi documentaire, retraçant les conditions de vie difficiles dans un Japon pas tout à fait sorti du Moyen Âge, La ballade de Narayama est surtout une réflexion profonde sur la place des personnes âgées dans la société. Thématique toujours d’actualité s’il en est.
A la fin de l’ère Edo, dans un village pauvre et isolé de la province du Shinshu (région montagneuse au centre du Honshu), une coutume ancestrale exige que les personnes atteignant l’âge de 70 ans aillent mourir au sommet de la montagne de Narayama (« la montagne aux chênes ») où se rassemblent les âmes des défunts. Pour ce long et douloureux périple, le fils aîné est chargé de transporter son parent sur son dos, sans avoir le droit de lui parler, sans jamais se retourner sur le parcours, sans jamais être vu de quiconque. Orin-Yan a atteint l’âge de 69 ans, mais elle respire encore la santé et fait preuve d’une vigueur et d’une force peu communes. Son heure approche, elle sent que bientôt elle devra entamer le long voyage vers Narayama, mais son fils Tatsuhei ne veut pas la laisser partir. Sa femme est morte quelques mois auparavant, lui laissant à charge un petit bébé, et il lui est difficile de se résoudre à abandonner sa mère au sommet de la montagne. Alors Tatsuhei fait la sourdre oreille, se montrant par ailleurs peu enclin à accepter une seconde épouse, ce qu’il fait pourtant sur les conseils de sa mère. La vie est rude dans le village, la nourriture pauvre, l’éloignement oblige ses habitants à vivre repliés sur eux-mêmes, selon des coutumes strictes et parfois cruelles. Ainsi, seul l’aîné des fils est autorisé à prendre une épouse et à donner naissance à une descendance, les vieux sont accompagnés à Narayama lorsqu’ils deviennent un poids pour leur entourage, c’est-à-dire une bouche inutile à nourrir.
Les deux tiers du film sont concentrés sur la vie quotidienne du village au fil des saisons, l’hiver rigoureux et neigeux laisse place à un printemps humide et boueux où l’on se consacre au dur travail des champs. L’été semble être la période la plus douce et la plus facile, propice à la légèreté, au flirt amoureux des jeunes gens et à l’abondance de nourriture (toutes proportions gardées). Mais Shoeï Imamura nous rappelle rapidement la réalité d’un quotidien qui ne laisse aucune chance à ceux qui ne respectent pas les règles. Ainsi, dans une scène d’une violence inouïe, les hommes du village mettent à mort une famille entière (père, mère et enfants) qu’ils soupçonnaient à juste titre de vol et se partagent ensuite leur nourriture. Le printemps venu, le frère de Tatsuhei découvre le cadavre abandonné d’un nouveau-né en bordure de la rizière, c’est un garçon, et comme chacun le sait au village il n’y a pas de place pour les cadets et pour les bouches inutiles. On est également sidéré par la scène dans laquelle Orin se fracasse les dents contre une meule de pierre, ces dents étincelantes et impeccables qu’elle arbore fièrement malgré ses 69 printemps et qui sont le symbole de son insolente santé aux yeux des autres. Une fois son geste accompli, la vieille femme se montre à la vue de tous la bouche ensanglantée pour signifier à l’ensemble de la communauté que par ce geste elle scelle désormais son destin. Symboliquement, elle devient la vieille femme édentée au dos courbée, une vieille personne qui doit désormais rejoindre Narayama. Son geste provoque une réaction d’une rare violence chez son fils Tatsuhei, qui en comprend immédiatement la portée. Mais aussi cruelles soient-elles, ces coutumes garantissent la survie de tous et la préservation d’un écosystème vital mais fragile. Chaque villageois est conscient que la famine guette l’ensemble de la communauté et que le moindre écart dans les règles de vie, la plus petite catastrophe menace l’ensemble du village. On assiste ainsi à une solidarité contrainte et forcée, un échange de bons procédés pour le bien de tous et pour la survie du plus grand nombre. Rien de désintéressé dans cette entraide, mais un geste d’une nécessité absolue face aux rigueurs de la vie.
Évidemment, la dernière demi-heure du film, celle où Tatsuhei accompagne sa mère jusqu’au sommet de la montagne et l’abandonne à son funeste destin, est de loin la plus poignante et la plus riche en émotions. Le film y puise toute sa force et sa dimension symbolique prend enfin tout son sens. Un tour de force réalisé pratiquement sans dialogue, illustré par un paysage de début d’hiver magnifique et une économie de moyens qui force le respect. Tout est dans la gestuelle des personnages, dans leurs postures ou leurs regards. L’amour entre cette mère admirable de volonté et de courage et ce fils exemplaire explose littéralement à l’écran et illustre à merveille cet esprit typiquement japonais que l’on peine parfois à saisir. Pourtant Shoeï Immamura n’est pas dupe et n’hésite pas à proposer un contrepoint terrifiant dans une scène qui aurait pu briser cette image d’Épinal d’une tradition ancestrale japonaise parfois exaltée à outrance. De retour vers son village, Tatsuhei croise un voisin venu également accompagner son père à Narayama, l’homme a été littéralement ligoté, il crie, pleure supplie, s’accroche comme un forcené à son fils, qui dans un ultime geste de désespoir le pousse dans le vide. Le courage et la dignité d’Orin-Yan, dont la neige recouvre la blanche chevelure, semblent ici s’opposer à la terreur et aux cris d’un vieil homme épouvanté à l’idée de mourir seul dans ce lieu de désolation. Une vision contrastée et complexe d’un Japon ancestral, qui met quelque peu à mal la conception canonique du bushido. Un monde où le poids des traditions (et donc le regard de la communauté) compte tout autant que l’abnégation, mettant ainsi à mal le supposé raffinement d’une société japonaise parfois faussement idéalisée par les occidentaux. Cette absence de manichéisme, cette complexité du propos, bien au-delà des qualités formelles du film, font de La ballade de Narayama une œuvre majeure du cinéma japonais.
(Commentaire de Emmanuel - La Kinopîthèque)
4.6.12
FILM
ET MAINTENANT ON VA OÙ ? Film de Nadine Labaki
Sur le chemin qui mène au cimetière du village, une procession de femmes en noir affronte la chaleur du soleil, serrant contre elles les photos de leurs époux, leurs pères ou leurs fils. Certaines portent le voile, d?autres une croix, mais toutes partagent le même deuil, conséquence d?une guerre funeste et inutile. Arrivé à l?entrée du cimetière, le cortège se sépare en deux : l?un musulman, l?autre chrétien.Avec pour toile de fond un pays déchiré par la guerre, Et maintenant on va où ? raconte la détermination sans faille d?un groupe de femmes de toutes religions, à protéger leur famille et leur village des menaces extérieures. Faisant preuve d?une grande ingéniosité, inventant de drôles de stratagèmes, unies par une amitié indéfectible, les femmes n?auront qu?un objectif : distraire l?attention des hommes et leur faire oublier leur colère et leur différence. Mais quand les événements prendront un tour tragique, jusqu?où seront-elles prêtes à aller pour éviter de perdre ceux qui restent ?
LECTURE
Je lis ce livre en ce moment et plus j'avance et plus je suis fascinée par ce roman et comme j'ai trouvé cette très bonne critique toute faite sur internet par le biais du blog Mon coin de lecture .
je retranscris intégralement.
J'avais beaucoup aimé le film réalisé par James Ivory et avec des acteurs fabuleux comme Anthony Hopkins et Emma Thomson. Je vais relouer le vidéo dès que j'aurais fini le bouquin .
LES VESTIGES DU JOUR - ROMAN DE KAZUO ISHIGURO
Présentation de l'éditeur
"Le vieux majordome Stevens a passé sa vie à servir les autres, métier dont il s'acquitte avec plaisir et fierté. C'est un homme qui se croit heureux, jusqu'à ce voyage qu'il entreprend vers Miss Kenton, l'ancienne gouvernante du château, la femme qu'il aurait pu aimer s'il avait su ouvrir ses yeux et son coeur..."
Commentaire
Le roman se déroule en six jours, en fait. Six jour où Stevens, majordome, va en ballade pour une question professionnelle, comme il le précise souvent, rejoindre Miss Kenton, l'ancienne gouvernante du domaine de Darlington Hall, grande demeure anglaise qui fait sa fierté et dans laquelle il a servi Lord Darlington pendant 35 ans. Maintenant, c'est un Américain qui l'a acquise et Stevens tente de servir son nouvel employeur, tout en idéalisant les années passées auprès de son précédent employeur, de même que ce dernier. Stevens, en parcourant la route qui mène d'Oxford aux Cornouailles, se remémore le passé, en particulier la période où Miss Kenton travaillait également au domaine. Mais c'est normal, hein, il s'en va la voir. Pour une question professionnelle, bien entendu.
Stevens, c'est le stéréotype du majordome anglais (butler), le "gentleman's gentleman". Rigide, digne en toute occasion, ne laissait aucune place au hasard. Stevens a passé sa vie au service de son employeur, lui faisant aveuglément confiance et se définissant uniquement par son travail, dont il nous parle énormément dans le livre. Car il s'adresse à nous, à travers ces pages, par des réflexions parfois tragiques et parfois presque comiques tellement il est "stiff" et rétrograde (il est contre le vote, c'est tout dire!).
Mais c'est extrêmement triste aussi. J'ai eu beaucoup de peine pour cet homme ainsi que pour ceux qui l'ont côtoyé car il ne sait absolument pas qui il est en dehors du rôle de majordome. Il choisit de n'être rien d'autre. De façon délibérée. Il choisit sciemment d'ignorer certains faits pourtant évidents pour ne pas ternir ses idéaux et sa vision des choses. Il tente de nous convaincre, de se convaincre qu'il ne ressent rien, qu'il ne voit rien. Bien entendu, tout était "professionnel" entre lui et Miss Kenton. Bien entendu, Lord Darlington était un homme bon, il voulait bien faire. Bien entendu. C'est important que nous le croyions. Et c'est vraiment très triste. Choisir de ne pas être, en fait.
L'étude psychologique m'est vraiment apparue comme très juste car Ishiguro laisse le lecteur comprendre seul le mécanisme de pensée de Stevens qui se cache sous ses grands discours et ses justifications. J'aime quand on me laisse réfléchir par moi-même. J'aurais détesté qu'on me prenne par la main. Ici, on lit le texte et on comprend petit à petit qui était ce Stevens, ce qu'il a refusé de voir, comment il a blessé les gens en refusant de les reconnaître en tant que personnes et en supprimant toute once de spontanéité en lui-même.
Le quatrième de couverture parle d'une "histoire belle et triste" et je trouve que ces mots conviennent très bien. Beaucoup de nostalgie et cette histoire d'amour qui n'a jamais pu éclore est très touchante. J'ai vraiment apprécié cette ambiance d'entre deux guerres, qui nous laisse entrevoir l'Histoire qui se profile à l'horizon. C'est très, très british et Ishiguro réussit vraiment à faire vivre la voix de Stevens dans ces pages. On y croit. Toutefois, ceux qui s'attendent à de l'action seront forcément déçus; il s'agit d'un roman plutôt psychologique, introspectif... pour nous, du moins!
je retranscris intégralement.
J'avais beaucoup aimé le film réalisé par James Ivory et avec des acteurs fabuleux comme Anthony Hopkins et Emma Thomson. Je vais relouer le vidéo dès que j'aurais fini le bouquin .
LES VESTIGES DU JOUR - ROMAN DE KAZUO ISHIGURO
Présentation de l'éditeur
"Le vieux majordome Stevens a passé sa vie à servir les autres, métier dont il s'acquitte avec plaisir et fierté. C'est un homme qui se croit heureux, jusqu'à ce voyage qu'il entreprend vers Miss Kenton, l'ancienne gouvernante du château, la femme qu'il aurait pu aimer s'il avait su ouvrir ses yeux et son coeur..."
Commentaire
Le roman se déroule en six jours, en fait. Six jour où Stevens, majordome, va en ballade pour une question professionnelle, comme il le précise souvent, rejoindre Miss Kenton, l'ancienne gouvernante du domaine de Darlington Hall, grande demeure anglaise qui fait sa fierté et dans laquelle il a servi Lord Darlington pendant 35 ans. Maintenant, c'est un Américain qui l'a acquise et Stevens tente de servir son nouvel employeur, tout en idéalisant les années passées auprès de son précédent employeur, de même que ce dernier. Stevens, en parcourant la route qui mène d'Oxford aux Cornouailles, se remémore le passé, en particulier la période où Miss Kenton travaillait également au domaine. Mais c'est normal, hein, il s'en va la voir. Pour une question professionnelle, bien entendu.
Stevens, c'est le stéréotype du majordome anglais (butler), le "gentleman's gentleman". Rigide, digne en toute occasion, ne laissait aucune place au hasard. Stevens a passé sa vie au service de son employeur, lui faisant aveuglément confiance et se définissant uniquement par son travail, dont il nous parle énormément dans le livre. Car il s'adresse à nous, à travers ces pages, par des réflexions parfois tragiques et parfois presque comiques tellement il est "stiff" et rétrograde (il est contre le vote, c'est tout dire!).
Mais c'est extrêmement triste aussi. J'ai eu beaucoup de peine pour cet homme ainsi que pour ceux qui l'ont côtoyé car il ne sait absolument pas qui il est en dehors du rôle de majordome. Il choisit de n'être rien d'autre. De façon délibérée. Il choisit sciemment d'ignorer certains faits pourtant évidents pour ne pas ternir ses idéaux et sa vision des choses. Il tente de nous convaincre, de se convaincre qu'il ne ressent rien, qu'il ne voit rien. Bien entendu, tout était "professionnel" entre lui et Miss Kenton. Bien entendu, Lord Darlington était un homme bon, il voulait bien faire. Bien entendu. C'est important que nous le croyions. Et c'est vraiment très triste. Choisir de ne pas être, en fait.
L'étude psychologique m'est vraiment apparue comme très juste car Ishiguro laisse le lecteur comprendre seul le mécanisme de pensée de Stevens qui se cache sous ses grands discours et ses justifications. J'aime quand on me laisse réfléchir par moi-même. J'aurais détesté qu'on me prenne par la main. Ici, on lit le texte et on comprend petit à petit qui était ce Stevens, ce qu'il a refusé de voir, comment il a blessé les gens en refusant de les reconnaître en tant que personnes et en supprimant toute once de spontanéité en lui-même.
Le quatrième de couverture parle d'une "histoire belle et triste" et je trouve que ces mots conviennent très bien. Beaucoup de nostalgie et cette histoire d'amour qui n'a jamais pu éclore est très touchante. J'ai vraiment apprécié cette ambiance d'entre deux guerres, qui nous laisse entrevoir l'Histoire qui se profile à l'horizon. C'est très, très british et Ishiguro réussit vraiment à faire vivre la voix de Stevens dans ces pages. On y croit. Toutefois, ceux qui s'attendent à de l'action seront forcément déçus; il s'agit d'un roman plutôt psychologique, introspectif... pour nous, du moins!
3.6.12
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